Après avoir côtoyé le divin, Son
Pépère affronte le graveleux
Un animateur de télévision bien connu
avait naguère l'habitude de poser aux invités de ses émissions une question précise à connotation existentielle. Il savait se
montrer salutairement provoquant en assimilant la mâle vulgarité à l'audace.
C'est ainsi que, quand il avait en face
de lui un homme politique guindé, ou une jeune dame timide, Quarty
Patisson(1) lui demandait les yeux dans les yeux :
Pour aider le téléspectateur à bien saisir l'intensité du moment, il exprimait alors une mine gourmande où l'on devinait à la fois admiration de sa propre témérité et satisfaction pour son humour distingué. Ses comparses dans l'émission accompagnaient l'acte de bravoure qui par un sourire servile, qui par un regard énigmatique. La personne célèbre ainsi interrogée en était, quant à elle, réduite à bafouiller une ou deux banalités en rougissant.
Son Pépère n'a pas la prétention de
résoudre l'énigme de façon définitive, mais, à l'aide de trois
exemples opportunément choisis, il montrera que l'on peut sans
conteste y répondre positivement et tout aussi bien négativement.
Il montrera enfin que l'on peut aussi tromper de façon flagrante tout
en s'abstenant.
1) Le vilain père Martin :
Aujourd'hui, un pensionnaire de la
résidence Dupont-Desbois est malade; sa toux rauque a inquiété la
directrice; elle a mandé le médecin. Après l’auscultation d'usage
et la prise de tension, le Docteur Pendule prescrit un remède.
L'infirmière se rend aussitôt à la pharmacie Guelhace et ramène
le précieux médicament. Elle présente un verre d'eau et deux beaux
comprimés jaunes(3) au malade.
- "Il est indispensable,"
recommande-t-elle "que vous les avaliez tout rond pour qu'ils se
montrent efficaces."
Comme elle croit discerner un regard
sournois chez son interlocuteur, elle ajoute :
- "Promettez-moi, père Martin, que
vous les prendrez comme je vous le commande"
- "I l' jure", confirme
le vieillard en crachant sur le sol.
Mais à peine les dragées sont-elles
arrivées sur sa langue que le fourbe patient se met à les garder en
bouche. Il goûte d'abord l'enrobage sucré, bien vite il savoure la délicate amertume de l'excipient. Riant de sa polissonnerie et
bavant de satisfaction, il termine de quelques coups de dents ces
délicieux bonbons et adresse un geste inconvenant en direction de la
soignante.
Nul ne contestera que, par son
comportement, le vieux garnement a trompé la confiance de son
entourage. Il ne mérite pas de guérir et déjà, le clocher de
l'église Sainte Radégonde se prépare à sonner le glas pour ses funérailles. Qui s'en plaindra?
2) Une compagne attentionnée :
Changeons de décor. Ce matin, le
printemps montre le bout de son nez. Les forsythias en fleurs font
oublier les frimas. Joliment vêtue, votre épouse se prépare à
sortir de la maison.
- "Ne m'attends pas pour déjeuner,
Chéri, " vous dit-elle, "je risque d'avoir un peu de
retard car je vais prodiguer une gâterie à ce brave
Nicoche(4) ; Son amie Blisabeth(4) m'a en effet révélé qu'il était
agréablement parfumé à l'anis."
- "D'accord à bientôt, prends ton temps! " lui
répondez-vous, heureux de la voir si pleine d'entrain.
Vous sortez derechef votre téléphone
pour prévenir Nicoche de sa bonne fortune et partez vaquer à vos
affaires.
Remarquez qu'elle vous
a gentiment prévenu de ses activités quand plus d'une épouse n'annonce
même pas qu'elle va chez sa coiffeuse. Aucune tromperie n'est évidemment à déplorer.
3) La traîtresse :
Imaginons cependant le pire : passé
le coin de la rue, voilà bien que la femme de votre vie, celle en
qui vous avez mis toute votre confiance referme d'un bouton son
corsage et tire sur sa jupe. Elle se précipite à l'église voisine
pour rejoindre sa famille et assister à l'office célébré pour sa
défunte maman que vous détestiez tant ! Émue, elle s'assoit à
côté de sa sœur et salue son beau-frère, agent du fisc. Le prêtre
qui l'a connue enfant vient l'embrasser et lui demande de vos
nouvelles!
Comment qualifier cette conduite?
Nul doute qu'un avocat bienveillant saura vous aider à remettre de
l'ordre dans votre vie.
Mais à quoi bon multiplier les situations? Son Pépère ne doute pas que le lecteur s'est maintenant constitué une opinion bien étayée sur un sujet si difficile.
(1) Patisson : chacun sait que les
patronymes ont été choisis la plupart du temps en fonction des
aptitudes de nos ancêtres. On voit que, pour celui-ci, la finesse et
l'élégance de la courge ont été mises en exergue.
(2) "Est-ce que sucer, c'est
tromper ?" : Son Pépère n'a pas pu atténuer la crudité du
propos sans risquer d’embrouiller son lecteur.
(3) comprimés jaunes : il était important, pour la clarté du message, qu'ils ne fussent pas bleus.
(4) Nicoche, Blisabeth : comme il
s'agit ici d'une parabole, Son Pépère a choisi des prénoms
improbables afin d'éviter que des personnages réels ne se croient
dévoilés.
Ardisson
Ardisson