Son Pépère a suivi la campagne
présidentielle avec intérêt, comme tout bon citoyen. Il aurait pu faire des
propositions intéressantes à un candidat cherchant à améliorer son score. Quel dommage qu'il ne les ait pas publiées à temps!
Jacon, fidèle secrétaire.
La peine de mort a été abolie dans
notre bel hexagone par un gauchiste aujourd'hui disparu.
Tout comme ses semblables, le personnage n'a eu pour buts que
d'encourager le crime et stigmatiser les victimes en confortant les
voyous. On disait même qu'il prétendait voler les économies des
braves gens pour les donner aux paresseux. Son époque est
aujourd'hui révolue et le temps est venu de rétablir le châtiment
suprême après trois décennies d'erreur. Bien entendu, le
lecteur l'aura pressenti, il n'est pas ici question d'un retour
stérile à des pratiques périmées. Nous ne manquerons pas en effet
d'améliorer tout à la fois le concept et l'application de la peine
en les adaptant aux coutumes de notre cher XXIème siècle.
Nous optimiserons par là même le bénéfice social de cette mesure.
Regardons tout d'abord les avantages
du rétablissement.
Diverses
études l'ont montré, l'effet dissuasif de la peine dite capitale
n'est pas établi. On imagine que tel grand criminel, probablement
illuminé, se sentira valorisé par le risque qu'il prend en
risquant sa tête. Il se posera plus facilement en martyr s'il agit
sous le prétexte d'une idéologie ou d'une religion. Les exemples
abondent d'assassins mettant au défi la justice de les exécuter,
quand ils n'ont pas préféré se laisser abattre par la police les
armes à la main. On a même rapporté que Ravaillac aurait pris
plaisir à être démembré en place publique;
Pourquoi alors remettre l'échafaud en
service? La réponse est simple : si la mesure est susceptible de
faire grimper dans les sondages l'homme politique qui proposera une
telle mesure, c'est parce qu'elle fait plaisir à nombre de braves
gens qui composent l'électorat. La peine de mort redevient
nécessaire puisque l’arène avec ses gladiateurs n'a fait place
qu'à de pâles copies télévisées, la corrida est menacée même
en Espagne et les massacres exotiques ne nous émeuvent plus
qu'épisodiquement. Quant aux spectacles sportifs, l'argent et le
dopage en ont fait passer la mode. De franches mises à mort
nationales, sans malice et sans fard ont donc bien toute leur place.
On aura soin de les justifier sous le prétexte de voir les victimes
vengées et leur familles consolées pour complaire aux beaux
esprits. On se gardera de mentionner que la souffrance des victimes
et leurs proches est tout aussi délectable à admirer que
l'exécution d'un assassin, parce que notre société reste empêtrée
dans des valeurs étriquées ; c'est ainsi que le mépris de nos
semblables, le moyen de leur nuire et de les savoir dans la peine
font partie de ces plaisirs trop peu exploités et si mal mis en
valeur.
Bienvenue donc à l'échafaud !
Circonscrivons maintenant le domaine
d'application :
Il importe - qui s'y opposerait?-
d’établir des barrières sévères à ce dispositif qui, ne
l'oublions pas, touche à la vie humaine, afin d'en éviter des
dérives trop prévisibles. Nous allons donc proposer une liste des
criminels concernés. N'oublions pas que, si le prétexte de ce
retour est d'ordre judiciaire, cela ne doit pas interdire d'inscrire
aussi parfois des coupables qui, par leur statut ou leur caractère,
pourraient faire l'objet d'une exécution exemplaire, propre à
combler d'aise nombre de braves électeurs quelle que soit
l'importance du crime commis. Pour une tâche si conséquente, Son
Pépère (PPR) s'est fait aider de Jacon (JC), son fidèle
secrétaire, afin de n'oublier personne.
-PPR : comme aux temps anciens des
apaches , on pourrait réserver la peine de mort à ceux qui
ont tué des membres des forces de l'ordre dans l'exercice de leurs
fonctions.
-JC : oublieriez-vous, Son Pépère,
les assassins d'enfants ?
-PPR : en effet, ajoutons aussi ceux
qui en abusent sexuellement
-JC : pensez-vous qu'on puisse laisser
de côté ceux qui s'en prennent aux personnes âgées, tant à la
sortie de la messe que dans leur logis?
- PPR : et pourquoi tergiverser, tous
ceux qui ont pris la vie d'autrui volontairement.
- JC : ou simplement par maladresse !
et ceux qui, se croyant à l'abri au volant de leur voiture mal
entretenue ou volée, fauchent vieillards et enfants sans
distinction?
- PPR : et ceux qui, par leur conduite
irresponsable, sous l'emprise de l'alcool ou du cannabis, mettent en
péril leurs concitoyens, perdant par là-même leurs points de
permis de conduire!
- JC : et les voleurs à la tire, qui
salissent l'image de notre beau pays auprès des touristes étrangers?
-PPR : soit, mais alors, si un voyou
subtilise le cyclomoteur d'un père de famille qui, afin d'aller
travailler et nourrir sa famille, a économisé pastis après pastis
pour s'offrir ce modeste véhicule, peut-on se contenter de le
laisser pourrir en prison?
- JC : bonne idée, et si un jeune n'a
rien fait d'autre que se livrer à la pratique répugnante de mettre
sa casquette à l'envers?
- PPR : Jacon, vous allez trop vite en besogne et
je préfère arrêter ici. Dans quelques temps peut-être, quand la
profession de bourreau aura atteint son apogée, qu'il sera
nécessaire d'innover pour lui donner un nouvel élan, nous pourrons
faire évoluer la liste des exécutables en instaurant un permis de
grâce à points où, en fonction d'une tarification méticuleuse,
seront inscrites à charge des incivilités à l'apparence banale
telles que la casquette inversée, les fautes d'orthographes, les
chaussettes de sport dans des chaussures de ville, les cigarettes sur
les quais de gare et autres surcharges pondérales. En attendant,
contentons-nous de la liste élémentaire que nous venons, vous et
moi, d'élaborer.
Appliquons la sentence dans un cadre
adapté à notre temps.
Petit matin blafard, verre de rhum,
assistance indigente, une mise scène aussi minimale ne suffit plus à
satisfaire les objectifs du châtiment suprême. Pire, rétablie en
l'état, l'exécution contribuerait à
ridiculiser l'institution judiciaire. Réactiver la peine capitale, ne
l'oublions pas, n'a pour but que de satisfaire les braves gens; le
catimini n'est donc pas de mise. Si les États-Unis ont su donner un
peu de saveur à la cérémonie en mettant en scène l'éventualité
d'une grâce, et en y invitant les victimes ou leur famille, il est
possible -une fois n'est pas coutume, de dépasser nos amis d'outre-atlantique.
Voici comment on pourrait donner de l'éclat à l'échafaud :
Voici comment on pourrait donner de l'éclat à l'échafaud :
S'il est nécessaire de laisser la
justice siéger dans la sérénité, c'est une fois le jugement final
prononcé que l'on confierait la suite des opérations à une société
de production de spectacles télévisés. Élargissant le champ de
thèmes trop souvent rebattus, une nouvelle émission de
"télé-réalité", comme il est convenu de nommer le
genre, mettrait en scène une compétition publique entre les
condamnés. Chaque semaine, le public choisirait qui doit "quitter" l'émission. On pourrait même assortir le type de supplice à la
personnalité du candidat. Les décisions seraient prises en fonction
de son comportement mais en tenant compte de l'avis d'un jury spécial et des appels téléphoniques du public.
Les professionnels de l'audiovisuel
n'ont pas besoin de conseils; ils sauront très bien réunir les
ingrédients nécessaires au succès des épisodes télévisés, et
nous nous bornerons à en évoquer les idées directrices :
Réunis dans une prison modèle, les
condamnés parleraient entre eux de leur vie passée, compareraient
leurs forfaits et confronteraient leurs expériences. A intervalle
régulier, chacun d'eux expliquerait ses motivations et ses états d'ame devant la caméra.
Tous les samedis, à une heure de grande écoute, les téléspectateurs
voteraient par téléphone pour désigner celui qui verrait sa
sentence exécutée. Pour parfaire son jugement, le public aura vu
préalablement les témoignages des gardiens, du jury et de son président, des familles des victimes et d'un prêtre.
La série pourrait s'appeler :"Couloir
de la mort" ou, mieux, "Death
row". L'animateur devra prononcer "dice ro", en
faisant mine de s'appliquer douloureusement car une personnalité ne
reste vraiment populaire qu'en faisant la preuve de son ignorance de la littérature et notamment des
langues étrangères. S'il a la malchance d'être
anglophone, l'animateur devra s'entraîner où céder sa place.
Quant au cadre, on pourra faire
confiance à l'imagination des professionnels pour trouver le lieu
idéal : une forteresse moyenâgeuse sobrement modernisée
conviendrait parfaitement, tout comme les ruines du regretté bagne
de Cayenne, Pourquoi pas le fort Boyard s'il est disponible? Des
caméras seraient installées partout, jusque dans chaque recoin.
Les condamnés, on le comprendra,
devront faire l'objet d'une sélection préalable . On ne peut
éviter en effet d'éliminer de ce spectacle les criminels trop
frustes et les malades mentaux, qui ne manqueraient pas d'altérer la
qualité des dialogues, rebuteraient les annonceurs publicitaires et
pousseraient les éléments les plus sensibles du public à douter du
bien-fondé de la condamnation. Les candidats les plus fragiles
seraient donc rendus à l'institution judiciaire, et remplacés par
une doublure, à moins qu'un entraînement spécial ne les mettent en
état d'afficher eux-mêmes, avec une conviction suffisante, un
niveau convenable de mauvais instincts ou de repentir spectaculaire.
On privilégierait les assassins les plus endurcis, comme les pervers
militants et les sadiques mais aussi les passionnels émotifs afin
d'attirer le plus vaste public.
Le pseudo-personnel pénitentiaire se
composera de volontaires de tous sexes choisis à l'issue d'épreuves
éliminatoires privilégiant un physique musclé et une aptitude
limitée à la compassion. Leur langage aura recours autant que
possible aux fautes de syntaxe courantes et sera fleuri de mots
compliqués utilisés à contresens. Ils devront glisser l'adverbe
"juste" dans chacune de leur phrase, mais éviteront
"typiquement", terme récurrent réservé aux
intellectuels.
Chaque condamné se verra affecter en
fonction de sa religion un prêtre à l'aspect caractéristique :
catholique, il portera soutane et marchera pieds-nus dans des
sandales; musulman, il sera barbu et se revêtira d'une djellaba de
chez Jacques-Luc Waltert; le bonze sera nu sous sa tunique, le rabin
cultivera un accent Yiddish au couteau. Le condamné athée se verra
attribué un ministre du culte commis d'office. Ces autorités
religieuses seront consultées régulièrement pour éclairer l'avis
du public.
Les familles des victimes seront
choisies selon leurs mérites et talents. Il pourra leur être
substitué un figurant en cas d'incompétence. Voyons en effet le cas
de parents qui viennent d'assister au procès ; les psychiatres leur
ont expliqué qu'il était nécessaire, afin de faire leur deuil, qu'ils connussent la description détaillée de toutes les horreurs dont
leur enfant a été l'objet au moment du crime. On peut envisager
que, manquant de cran, ils en soient ressortis anéantis et refusent
de participer. Imaginons maintenant le retraité auquel un voyou à
volé puis détruit la voiturette qui lui permettait d'aller sans
crainte cultiver son potager. Il est probable qu'une justice laxiste n’ait pas infligé au délinquant le châtiment tant mérité. Ne
sera-t-il pas astucieux de remplacer la famille défaillante par ce
brave homme plein de vigueur et de ressentiment?
Le jury de l'émission, lui, devra
faire montre de tenue et de dignité. Il se composera de personnages
compassés dont les propos, et sibyllins mais sentencieux , montreront la
hauteur de vue et la sagacité1.
Quant au public, il sera réparti en
trois catégories :
La troisième comprendra
ceux qui se contentent de regarder les émissions gratuites, et
téléphonent pour choisir leur préféré.
La deuxième, moyennement
un abonnement, aura accès aux caméras situées dans les salles
communes de la prison.
La première bénéficiera
des privilèges des deux autres, avec, en supplément, le spectacle
des caméras des salles de bains, des toilettes et des cellules. Le
tarif sera, on l'imagine, beaucoup plus élevé.
Nous n'avons pas parlé des
exécutions. Il y en aurait, pendant la saison de l'émission, une
par semaine. Le concept de rétablissement de la peine étant
nouveau, tout comme le jeu télévisé, il ne nous semble pas sain
que l'étape finale soit librement vue par tous, au moins la première
année. Aussi, pour ne pas choquer les consciences, on interdira la
diffusion publique de l’événement pour la réserver strictement
aux abonnés de première catégorie.
Mais laissons aux
professionnels du spectacle le soin de mettre en scène les détails
de l'émission, le choix des invités, les possibilités pour
quelques téléspectateurs de recevoir des cadeaux tels qu'un accès
gratuit à la première catégorie ou un séjour au soleil,
enfin tous les ingrédients qui font le succès d'une bonne émission.
Si sa proposition voit le
jour, Son Pépère aura été heureux de contribuer à initier un
amusement populaire et décomplexé. La balle est dans le camp des
politiques et des médias.
1
Pourquoi pas la chanteuse Erato, intelligente et distinguée, le
critique gastronomique Patrick Démarreur, modeste et sympatique, le
brave avocat Wilbert Millable? et bien d'autres encore. Le
président? une célébrité nationale. On imagine bien à ce poste
le célèbre Rugy Hallumière, en promotion pour son nouveau disque,
ou Fluviale La Clanche, candidate malheureuse aux dernières
élections..