Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt

Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt
Sur les pages de ce site, Son Pépère vous présentera ses réflexions sur le monde et ses dépendances. Il vous fera partager ses expériences de la vie courante, mais aussi ses recettes de cuisine et ses humeurs. D'avance, Son Pépère présente au lecteur éventuel ses excuses pour les idées qu'il aura affichées comme originales, mais qui ne seront peut-être que des banalités.

dimanche 19 février 2012

La lune et le doigt

ou "Le mort de la chapelle Sixtine"

On peut lire au fronton de ce blog la devise de Son Pépère : "Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt".
A l'aide de quelques exemples, Son Pépère va nous expliquer le bien-fondé de cette posture.
Jacon, fidèle secrétaire.

Son Pépère a toujours eu du mal à distinguer l'accessoire de l'essentiel. Cette disposition d'esprit est considérée généralement comme l'apanage des sots. Loin d'en rougir , Son Pépère en fait son point fort; il nous montre la supériorité du détail grâce à quelques exemples succincts mais convaincants.

L'autorité aux armées :
Comme tous les jeunes gens de sa génération, Son Pépère a effectué  le service militaire. Pendant une année, il a côtoyé un monde où l'extravagance est appelée discipline. Il y a admiré le bourdonnement d'une société fermée qui réussissait l'exploit de tourner en même temps à vide et à plein régime. C'est dans cet univers que son Pépère a pu admirer un bel exemple de doigt qu'on regarde. Chaque fois en effet qu'un appelé du contingent avait un désaccord avec un officier, la conversation était close à l'avantage de ce dernier grâce à un argument imparable : "il m'est impossible de continuer de discuter avec un soldat qui a les cheveux aussi longs" disait le supérieur. On aurait pu objecter que la tignasse incriminée ne dépassait guère deux ou trois centimètres ; cela suffisait toutefois à indiquer qui avait tort et qui avait raison.
On voit ainsi qu'en mettant l'accent sur l'apparence d'un interlocuteur, on arrive à escamoter l'objet d'un débat. C'est de cette façon qu'une armée est digne d'une grande nation, quand ses élites ont raison coûte que coûte.
Il en est de même pour le jeune qui ne peut prétendre avoir une discussion fructueuse avec un vieux dès lors qu'il porte une casquette et qu'il a eu la malice de la chausser à l'envers.
Son Pépère approuve bien entendu toute méthode permettant de conforter l'ordre établi, et c'est bien pourquoi au général il privilégie ce qui est secondaire .

Le XXIème siècle :
On attribue à André Malraux cette phrase bien connue : "Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas".
Cette assertion est très intéressante en ce sens que, si on la regarde attentivement, on ne manque pas de la trouver dérisoire. Comment en effet peut-on savoir si une époque est religieuse, ou du moins plus que celles qui l'ont précédée? Sait-on définir un coefficient de religiosité? Et comment un siècle pourrait-il ne pas exister? Sans doute l'auteur de cette phrase a-t-il voulu suggérer qu'au moment où l'on annonce la fin prochaine des religions, on voit ces dernières repousser par le bas : les plus actives d'entre elles en effet émergent en éveillant chez leurs fidèles sectarisme et sauvagerie, ou simplement obscurantisme - culinaire ou  vestimentaire par exemple pour qu'on comprenne bien. Est-ce propre au siècle présent? Quant aux religions chrétiennes, qui se sont assoupies dernièrement, elles ne se font plus guère remarquer qu'en se spécialisant dans les pratiques sexuelles sur lesquelles elles croient utile de palabrer; renforcent-elles vraiment la face mystique de notre époque?
N'est-il pas plus intéressant alors de s'interroger sur ce qui a pu pousser un esprit éclairé et universellement reconnu comme tel, à proférer une formule brillante, qui sonne bien, mais n'apporte aucun message consistant. On peut aussi étendre le débat à ceux, nombreux, qui la reprennent à leur compte.
Son Pépère pense donc qu'il est vain de gloser plus longtemps sur ce sujet, il lui semble en revanche utile de se poser les questions suivantes dont il suggère les réponses :
- Dans quel cadre a-t-on prononcé cette phrase? à l'évidence au cours d'un dîner bien arrosé.
- Qui était le maître de maison ? une personnalité de droite, de gauche, un ecclésiastique?
- A côté de qui l'auteur était-il assis ? une jeune personne qu'il tentait de séduire ? un mécène auquel il souhaitait soutirer quelques subsides ?
- Qu'y avait-il dans les verres ? Du Châteauneuf du Pape à quinze degrés? un Cognac sans âge?
Si on arrivait à résoudre ces énigmes, Son Pépère est convaincu qu'on ferait avancer l'humanité aussi loin qu'en délibérant sur le siècle et les religions.

Le plafond de la chapelle .
On sait que Michel-Ange fut sollicité pour refaire la décoration de la chapelle Sixtine. On ignore souvent que s'il a remporté l'appel d'offre, c'est parce qu'il avait passé contrat avec un centre de formation à l'apprentissage. Pendant toute la durée des travaux, on pouvait ainsi observer ici et là des jeunes gens grimpés sur des échelles, tartinant le plafond à grands coups de pinceau, inspirés qu'ils étaient par le génie de l'artiste.
Mais un accident regrettable advint au cours d'une banale inspection. Le Maître était accompagné ce jour là de son client le pape Clément. Le travail effectué semblait satisfaisant quand, à l'examen de la partie réservée à la Création d'Adam, on s'aperçut que la poche marsupiale du kangourou1 avait été oubliée ! Michel-Ange n'avait pas bon caractère;  il était furieux et le Pape chagrin. Voulant réparer l'erreur lui-même, le peintre s'adressa au stagiaire le plus proche, lui criant avec hargne ; "accroche-toi au pinceau, j'enlève l'échelle!"
Voilà comment fut rapporté un des premiers accidents du travail connu. On aurait pu l'éviter en apportant plus de considération à la fonction de l'échelle plutôt qu'à la perfection de l’œuvre elle-même.

Par ces trois anecdotes, Son Pépère pense avoir fait la preuve que souvent, le secondaire doit primer sur le principal.

Quant à la Patronne, si elle regarde le doigt c'est seulement par méfiance car elle craint les microbes et déteste les odeurs corporelles, : "à tant montrer la lune", se dit-elle, "ce doigt ne s'en serait-il pas approché trop intimement ?"





1 la présence du kangourou est attestée par des historiens réputés. cf le film des Monty Python "Live At The Hollywood Bowl "