On peut lire au fronton de ce blog la devise de Son Pépère : "Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt".
A l'aide de quelques exemples, Son Pépère va
nous expliquer le bien-fondé de cette posture.
Jacon, fidèle secrétaire.
Son Pépère a toujours eu du mal à
distinguer l'accessoire de l'essentiel. Cette disposition d'esprit
est considérée généralement comme l'apanage des sots. Loin d'en
rougir , Son Pépère en fait son point fort; il nous
montre la supériorité du détail grâce à
quelques exemples succincts mais convaincants.
L'autorité aux armées :
Comme tous les jeunes gens de sa
génération, Son Pépère a effectué le service militaire. Pendant
une année, il a côtoyé un monde où l'extravagance est appelée
discipline. Il y a admiré le bourdonnement d'une société fermée qui
réussissait l'exploit de tourner en même temps à vide et à plein
régime. C'est dans cet univers que son Pépère a pu admirer un bel
exemple de doigt qu'on regarde. Chaque fois en effet qu'un appelé du
contingent avait un désaccord avec un officier, la conversation
était close à l'avantage de ce dernier grâce à un argument
imparable : "il m'est impossible de continuer de discuter avec
un soldat qui a les cheveux aussi longs" disait le supérieur.
On aurait pu objecter que la tignasse incriminée ne dépassait guère
deux ou trois centimètres ; cela suffisait toutefois à indiquer qui
avait tort et qui avait raison.
On voit ainsi qu'en mettant l'accent
sur l'apparence d'un interlocuteur, on arrive à escamoter l'objet
d'un débat. C'est de cette façon qu'une armée est digne d'une
grande nation, quand ses élites ont raison coûte que coûte.
Il en est de même pour le jeune
qui ne peut prétendre avoir une discussion fructueuse avec un vieux
dès lors qu'il porte une casquette et qu'il a eu la malice de la
chausser à l'envers.
Son Pépère approuve bien entendu
toute méthode permettant de conforter l'ordre établi, et c'est
bien pourquoi au général il privilégie ce qui est secondaire .
Le XXIème siècle :
On attribue à André Malraux cette phrase
bien connue : "Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas".
Cette assertion est très intéressante
en ce sens que, si on la regarde attentivement, on ne manque pas de
la trouver dérisoire. Comment en effet peut-on savoir si une époque
est religieuse, ou du moins plus que celles qui l'ont précédée? Sait-on définir un coefficient de religiosité? Et
comment un siècle pourrait-il ne pas exister? Sans doute l'auteur de
cette phrase a-t-il voulu suggérer qu'au moment où l'on annonce la
fin prochaine des religions, on voit ces dernières repousser par le
bas : les plus actives d'entre elles en effet émergent en éveillant
chez leurs fidèles sectarisme et sauvagerie, ou simplement obscurantisme - culinaire ou vestimentaire par exemple pour qu'on comprenne bien. Est-ce propre au siècle présent? Quant aux
religions chrétiennes, qui se sont assoupies dernièrement, elles ne se
font plus guère remarquer qu'en se spécialisant dans les pratiques
sexuelles sur lesquelles elles croient utile de palabrer; renforcent-elles vraiment la face mystique de notre
époque?
N'est-il pas plus intéressant alors de
s'interroger sur ce qui a pu pousser un esprit éclairé et
universellement reconnu comme tel, à proférer une formule
brillante, qui sonne bien, mais n'apporte aucun message consistant.
On peut aussi étendre le débat à ceux, nombreux, qui la
reprennent à leur compte.
Son Pépère pense donc qu'il est vain
de gloser plus longtemps sur ce sujet, il lui semble en revanche utile de se poser les
questions suivantes dont il suggère les réponses :
- Dans quel cadre a-t-on prononcé cette
phrase? à l'évidence au cours d'un dîner bien arrosé.
- Qui était le maître de maison ? une
personnalité de droite, de gauche, un ecclésiastique?
- A côté de qui l'auteur était-il
assis ? une jeune personne qu'il tentait de séduire ? un mécène
auquel il souhaitait soutirer quelques subsides ?
- Qu'y avait-il dans les verres ? Du
Châteauneuf du Pape à quinze degrés? un Cognac sans âge?
Si on arrivait à résoudre ces
énigmes, Son Pépère est convaincu qu'on ferait avancer l'humanité aussi loin qu'en délibérant sur le siècle et les religions.
Le plafond de la chapelle .
Mais un accident regrettable advint au
cours d'une banale inspection. Le Maître était accompagné ce jour là de son client
le pape Clément. Le travail effectué semblait satisfaisant quand, à l'examen de la partie réservée à la Création d'Adam, on s'aperçut que la
poche marsupiale du kangourou1
avait été oubliée ! Michel-Ange n'avait pas bon caractère; il était
furieux et le Pape chagrin. Voulant réparer l'erreur
lui-même, le peintre s'adressa au stagiaire le plus proche, lui
criant avec hargne ; "accroche-toi au pinceau, j'enlève
l'échelle!"
Voilà comment fut rapporté un des
premiers accidents du travail connu. On aurait pu l'éviter en apportant plus de considération à la fonction de
l'échelle plutôt qu'à la perfection de l’œuvre elle-même.
Par ces trois anecdotes, Son Pépère
pense avoir fait la preuve que souvent, le secondaire doit primer sur le
principal.
Quant à la Patronne, si elle
regarde le doigt c'est seulement par méfiance car elle craint les
microbes et déteste les odeurs corporelles, : "à tant
montrer la lune", se dit-elle, "ce doigt ne s'en serait-il pas approché trop intimement ?"
1 la
présence du kangourou est attestée par des historiens réputés.
cf le film des Monty Python "Live
At The Hollywood Bowl "