Jacon, fidèle secrétaire.
Dans un premier temps, Son Pépère a approuvé sans réserve les adversaires de ce terme. Il partage avec eux l'évidence de son effet discriminatoire. Qui est en effet une demoiselle ? une fille jeune ? une dame qui n'a pas trouvé le mari rédempteur ? un esprit indépendant qui refuse les conventions ? Pourquoi devrait-on rendre publiqes des précisions si personnelles ?
Mais tout a déjà été dit à ce sujet.
Ajoutons que si le statut de demoiselle permet à certaines personnes de se complaire dans le sentiment d'être infériorisées, il donne à d'autre un levier pour défier la gent masculine. Tout cela donne du grain à moudre à une guerre des sexes qui tendrait parfois à s'assoupir.
L'opinion de Son Pépère était donc faite.
Mais un matin, sa conviction a été ébranlée en écoutant Gaule Partout, sa radio préférée. Une personnalité érudite, un bel esprit dont Son Pépère a oublié le nom y affirmait qu'il fallait se battre pour garder "mademoiselle", parce que c'était un "si joli mot" (sic). Son temps de parole étant alors écoulé, il n'a pas pu préciser qu'il fallait par conséquent rétablir l'usage du terme tout aussi décoratif de "damoiseau"; mais cette évidence était-elle nécessaire ?
Quoi qu'il en soit, Son Pépère fait maintenant sienne l'opinion qu'on ne doit jamais supprimer ce qui est beau. Il va le montrer par des exemples appropriés :
- Regardons un tableau d'Eugène Delacroix, par exemple le fameux "Scène des massacres de Chios". On est subjugué par la beauté des pulpeuses défuntes à demi dénudées se desséchant au soleil, leurs corps et ceux des blessés enchevêtrés dans le plus gracieux des charniers. Admirant de telles merveilles, l'homme, en sa sagesse, a décidé de ne jamais supprimer la guerre sans laquelle plus d'un artiste en eut été réduit à peindre des enfants rieurs s'ébattant dans des jardins fleuris.
- Nous avons appris récemment que la pratique de la corrida était menacée par quelques béotiens. Ces gens-là ne perçoivent pas la noblesse d'un torero risquant sa vie pour d'élégants entrechats.
- Un ami de Son Pépère, qui a passé sa jeunesse dans la Rome antique, affirme que le joli spectacle d'un bovin torturé est finalement peu de chose. Rien n'égale en effet les jeux du cirque où rétiaires et mirmillons s'étripaient à mort au milieu des bêtes sauvages, sous les yeux éblouis de César et du peuple. Notre civilisation put-elle se montrer si aveugle qu'elle en vint à bannir les gladiateurs de l'arène sans considération pour la splendeur incontestable de leurs combats ? il importe de rétablir ces coutumes au plus vite.
On voit ainsi qu'en respect pour la Beauté, on a su maintenir au long des siècles la plupart des grandes tueries en tant qu'arts majeurs. Voilà pourquoi qu'il ne faudrait pas, au prétexte de battre en brèche un sexisme somme toute banal, se priver du terme si élégant de "mademoiselle".
Jacon, fidèle secrétaire de Son Pépère ose ici une objection :
"- Mais Son Pépère, si j'ai bien lu, vous avez comparé la guerre et ses excès avec le bien-fondé de l'usage d'un mot discutable ? N'est-ce pas excessif ?"
Son Pépère :
"- Son Pépère choisit les exemples qui lui semblent pertinents pour illustrer son propos. Est-il sage de comparer une aiguille qui perce un tissu pour passer un fil, et un tunnelier qui fore sous les Alpes afin d'y construire une route ? Ça l'est en effet car si, dans ces deux cas l'intensité est différente, l'intention, elle, est sensiblement la même."
Jacon, fidèle secrétaire :
"-Me voici convaincu, Comme il me tarde de lire la suite!"